Port-au-Prince , le 11 janvier 2015
C’est la cinquième commémoration du séisme qui a éliminé de nombreuses vies en Haïti et modifié l`espace de la capitale.
Tout le monde y pense…même en catimini; l`émotion est bien sûr passée, le souvenir reste, de plus en plus lointain, mais les conséquences, en tout cas pour certains, sont toujours d`actualité.
ESPACE URBAIN ET RECONSTRUCTION
L`espace de la capitale est modifié; la reconstruction privée bat son plein mais trop souvent encore des monstres de béton s`érigent : défis telluriques mais aussi coût plus élevé des constructions antisismiques. Les chantiers d`état où ceux financés par la communauté internationale ou autres bailleurs de fonds répondent – souhaitons le- à ces exigences. Par contre, ceux que le tremblement de terre a dépossédés, après des mois sous tente ou abris de fortune et des mois de promesses de prise en charge de la construction d`une nouvelle maison, ont, à leur tour, décidé de se reloger.
Cela a pris et prend des tournures différentes selon les milieux sociaux concernés.
À Port-au-Prince, et dans les villes de Jacmel, Léogane, Grand-Goâve. Ti- Goâve, touchées par le séisme, la population « se débrouille » avec ses moyens pour se reloger décemment ou pas, aller habiter ailleurs, chez de la famille. On ne reste pas sans abri pendant 5 ans successifs.
Dans les deux ans qui ont suivi le 12 janvier, on est passé par différentes étapes de « reconstruction » : apport de tentes et bâches, utilisées sur les places publiques, la rue, les impasses, et mise à disposition d`espaces privés (églises, écoles, cours) pour ériger des pseudo-habitations. Ensuite a commencé la valse des ONG et des amis de l`état haïtien : maisons en contre-plaqué, en ciment, en bois….données ou vendues sans fenêtres ou sans portes parfois, sans sanitaires mais aussi complètes !!! Les camps se sont équipés de ce type de provisoire de 2ème intention; il y a eu des bénéficiaires, triés sur le volet, et certaines maisons, organisées en « quartier » sont même vides jusqu`à présent, car bâties à des lieues de distance de toute vie pour le quidam moyen qui se déplace en transport commun (coût et temps) et loin aussi d`écoles, dispensaires, commerces.
Il faut cependant remarquer qu`il existe aussi des endroits où l`habitat répond au besoin de celui qui habite.
Ce qui aurait du être transitoire est resté souvent définitif; le type de maisons qu`on voit dans des quartiers de Port-au-Prince, offertes par des ONG (modèle standard), a été modifié, amélioré par les gens pour en faire quelque chose de fonctionnel et intime. Cela ne répond pas toujours à des critères esthétiques communs ou standards. mais à d`autres, sociaux et culturels, que nous ne discutons pas, mais que les édiles locales auraient mieux fait d`observer et prendre en compte au lieu de construire du « Little Miami » à Port-au-Prince.
Dans d`autres cas, après avoir attendu en vain quelques aides de l`état promises ou pas, de nombreuses familles ont cherché une solution pour se loger : construction modeste, déplacement dans un autre quartier, un autre endroit. Les zones du bas de la ville, de la ville se sont vidées (comme lieux de résidence), pour arriver à grimper sur les flancs des mornes qui entourent la capitale. Certains sont partis habiter dans la zone métropolitaine (Croix-des-Bouquets, Carrefour, Pernier, La Plaine), pouvant acheter un morceau de terre et sortir de l`affermage. Mais outre la distance et le temps de transport, il faut aussi y résoudre les problèmes d`eau, courant et sanitaire. Très souvent les gens vont s`installer dans des maisons à moitié finies, car ils économisent le loyer ou encore sur des terres à vocation agricole, ou encore qui devraient être protégées : le gouvernement ne fait rien que « dire »…
Les gens ont du aller loin du centre de la ville car les espaces à construire sont limités en ville et chers; une zone d`utilité publique a été définie par la présidence dès le lendemain du 12 janvier (centre-ville). Ses limites ont été modifiées en 2014; les propriétaires de bien immobiliers ont été appelés à présenter leurs pièces notariées pour un dédommagement.
Pétionville, commune au-dessus de Port-au-Prince, a reçu tous les immigrés plus riches de la ville (commerçants, secteur santé, maisons d`affaires, bureaux, petites entreprises). La commune est devenue internationale d`aspect, avec des centres commerciaux universels, des restaurants de toute nationalité : tout ce qu`affecte – en terme de sorties et loisirs- une clientèle haïtienne et étrangère aisée puisque les prix sont en USD. L`espace urbain n`a pas été remodelé, ce qui crée d`énormes embouteillages dans la commune, des endroits encombrés de marchandes sans étal, des vendeurs à la sauvette, des « corridors » qui, dans en sens, redonnent une couleur locale à la scène.
Les chantiers d`état : rien n`est encore très clair pour la majorité des citoyens. En septembre 2014, une frénésie s`est emparée des gros engins de la compagnie d`état CNE et une zone au centre-ville, délimitée par on ne sait quel songe, s`est vue attaquée sauvagement, sans respect des personnes la peuplant, dans le bruit et la fureur. Tout a été rasé, quelques décombres épars se reposent et jusqu`à aujourd`hui rien n`est né des ruines.
D`autres places sont entourées de tôles rouges, bleues ou vertes, signe de travail de reconstruction, au moins de projet; beaucoup en sont restées à ce stade : projet, avec parfois une maquette illustrant et stimulant l`imaginaire. Certains chantiers ont ou ont eu une activité; des bâtiments publics sont donc en cours de construction. Tout cela dans un plan urbain global que personne- ou très peu d`initiés- ne connaissent. Où va-t-on reloger les habitants du centre-ville ????
Et puis au-delà de la ville, à ses portes de sorties nord et sud, s`alignent et se multiplient de petites maison, de petits quartiers, désorganisés ou organisés n`importe comment, avec quelques traces de l`état parfois (poste de police) ou de l`état humain (morgue, camions d`eau, borlette). La population qui occupent ces espaces vient des camps fermés, des places du centre-ville vidées à coup de 1000 gourdes, de la province non touchée par le séisme mais qui était en quête des largesses d`un état-providence utopique, et encore ?
Difficile à connaître les obligations et contraintes ou choix qui ont porté cette population à s`installer dans ces espaces qui deviendront les bidonvilles d`un futur proche et des milliers de personnes qui ne se déplaceront plus si facilement. Ils ont du errer pas mal de temps et survivre dans des conditions inimaginables depuis le 12 janvier, ne croyons pas qu`ils accepteront facilement d`autres décisions arbitraires, si elles venaient un jour.
En dernier lieu, nous pouvons dire que l`état et ses appendices nationaux et internationaux, travaillent sur des dossiers de cadastre, aménagement du territoire, question foncière. Des dossiers délicats, difficiles à cerner, à gérer et qui prendront des années pour aboutir à un maillage national des terres. Parallèlement, les lois, leur application spécifique dans ce domaine, l`acceptation des propriétaires restent des étapes de longue haleine dans un pays assez anarchique quand il s`agit d`actions, mais bizarrement autoritaire en théories.
Françoise Ponticq