La situation haïtienne ne s’améliore pas loin de là… La crise vécue par le pays n’est pas seulement humanitaire, mais multidimensionnelle.
Françoise Ponticq, praticienne installée à Port-au-Prince depuis plus de 30 ans, donne un aperçu de l’actualité haïtienne.
La ville a perdu son beau nom depuis longtemps ; certains versent dans le « Port-au-Crime ». La ville vit aujourd’hui au rythme des exactions des gangs : quartiers envahis par des groupes lourdement armés qui tuent, volent, kidnappent, s’arrogent le droit d’occuper les maisons, de brûler d’autres habitations ou véhicules. Cela dure pendant quelques jours avant un déplacement vers un autre quartier, qui subira les mêmes exactions. Le 21 mars le journal Alterpresse, relayé par RFI, titrait « Violences des gangs : 531 personnes tuées, 300 autres blessées et 277 autres kidnappées depuis janvier 2023 en Haïti, selon l’ONU ».
Les gangs sont nombreux. De jeunes garçons et filles troquent parfois leur uniforme d’écolier pour celui d’un gang. La plupart du temps, les chefs agissent au vu des autorités, sans être inquiétés.
Depuis près de deux ans, le même scénario se répète. La capitale est quasiment encerclée par les gangs, les sorties nord et sud sont contrôlées par ces derniers comme nous l’avions déjà relaté dans un article en mars 2022.
La police est critiquée pour son laxisme, parfois même accusée de complicité. Mais, elle ne peut faire face à cette organisation criminelle. On compte aussi des morts parmi eux.
Cette insécurité préoccupe et envahit chaque individu de toutes les catégories sociales car, personne n’est épargné. Devant la cruauté et la violence gratuite exercée envers les siens, la peur et la terreur s’installent. Des familles entières fuient leurs maisons, en urgence et sans rien emporter.
Les déplacements des personnes les plus fragiles économiquement restent problématiques et traumatisants : où aller ? Pour combien de temps rencontrera-t-on une solidarité familiale ou amicale si les mois passent ? Comment les enfants poursuivront-ils leur cursus scolaire ?
Les mieux lotis partent en province, voire à l’étranger. Les autres personnes – pour différentes raisons – se résignent à vivre dans ces conditions. Les entreprises ferment, les écoles fonctionnent parfois en virtuel, le commerce dépérit, des ONG sont contraintes de réduire leurs activités.
Dans ce contexte, le courage diminue et la raison s’emballe. L’incompréhension soulève des questionnements : « Pourquoi se retrouve-t-on dans cette situation ? » « Quels sont les raisons et objectifs d’une telle descente aux enfers ? ». Ces questions sont sur toutes les lèvres, mais restent sans réponse ou font l’objet de trop d’hypothèses non vérifiées.
Le gouvernement et les autorités semblent incapables de réagir. Mais alors sur qui ou quoi compter pour remédier à cette situation ?
Les rencontres nationales et internationales n’aboutissent à rien de concret. Il y a beaucoup de discours prononcés, de promesses intenables ou hors de propos pendant que la situation s’enlise, grossièrement et irrémédiablement. Le marécage est profond, la boue éclabousse tout le monde, surtout dans un petit pays comme Haïti où tout peut se savoir ou se deviner… mais où tout s’oublie.
« Boire jusqu’à la lie » puis « renaître de ses cendres », deux expressions qui siéent à la situation.
Un proverbe créole dit « tout lapryè gen Amen » (toute chose à une fin). Souhaitons-le…
Françoise Ponticq – Port au Prince – le 24 mars 2023