Retour sur l’actualité haïtienne avec F. Ponticq – praticienne à Port au Prince

on prend le peuple pour des cafards …..

Le 7 février est une journée symbolique en Haïti. Elle marque la chute de la dictature des Duvalier en 1986. Cette année, cette date devait marquer la transition présidentielle. Pourtant, le Premier ministre, arrivé au pouvoir suite à l’assassinat du président J. Moïse est resté en place.  Retour sur l’actualité haïtienne avec Françoise Ponticq, chirurgien-dentiste installée à Haïti depuis plus de 30 ans.

 

  • Un contexte politique difficile

Depuis janvier 2020, Haïti n’a plus de parlement opérationnel. Le Sénat a été réduit à 10 sénateurs sur 30. Cette situation a permis à l’ancien président Jovenel Moise de gouverner par décret, ce que l’opposition et une grande partie de la société civile avait considéré comme une dérive dictatoriale.

Le 7 février 2021, ce dernier a décidé de rester au pouvoir. Durant les premiers mois de l’année, les manifestations se sont multipliées dans plusieurs villes haïtiennes et ont été réprimées par les forces de l’ordre. Des milliers d’opposants demandaient alors le départ du président et dénonçaient « l’ingérence internationale », plus précisément celle du Core Group. Celui-ci, composé de représentant.es des Nations unies, de l’Union européenne, de l’Organisation des États américains ainsi que des Ambassadeurs d’Allemagne, du Brésil, du Canada, de la France, de l’Espagne et des États-Unis, avait organisé plusieurs réunions d’échanges entre le pouvoir et l’opposition, alors que les militants réclamaient une solution haïtienne à la crise.

Le 7 juillet 2021, Jovenel Moise est assassiné à Port-au-Prince. Jusqu’à présent les auteurs du crime ne sont pas connus. Quelques jours avant, il avait nommé un nouveau Premier ministre, le Dr Ariel Henry.

Après de houleuses tergiversations entre les Premiers ministres entrant et sortant, Ariel Henry est finalement resté au pouvoir et a formé un gouvernement « ouvert » à d’autres formations politiques que le PHTK, parti au pouvoir. Depuis plus d’un an, un groupe de 100 organisations politiques de l’opposition et de la société civile se réunit pour proposer une sortie de crise et l’organisation d’élections démocratiques. En août 2021, ce groupe a présenté un document nommé « Accord du Montana ». Les signataires sont soutenus par des sénateurs démocrates des États-Unis et quelques groupes de la diaspora haïtienne. Ces derniers demandent la tenue d’élections le 7 février afin de choisir un président provisoire pour 2 ans de façon à sortir de la crise puis d’organiser de nouvelles élections.

Depuis le mois d’octobre, on observe une diminution des manifestations anti-gouvernementales. Ariel Henry continue aujourd’hui de diriger le pays.

  • Une situation d’insécurité permanente

Depuis 5 ans, l’insécurité est toujours plus importante, essentiellement dans la capitale. Cette insécurité est notamment causée par des bandes criminelles qui occupent les quartiers populaires de Port-au-Prince, des zones étendues au-delà de la ville ou encore la région métropolitaine qui va vers la frontière dominicaine.

Les gangs rançonnent les individus, kidnappent, volent, tuent et se font la guerre. Des personnes de toute appartenance sociale sont enlevées et libérées (ou non) contre des rançons exorbitantes pouvant aller jusqu’à 60 000 $. Les personnes qui parviennent à être libérées en ressortent non seulement traumatisées, mais aussi endettées à vie. Ils attaquent même des écoles qui deviennent des cibles de vols et de rançons.

Les gangs détournent également des camions de marchandises, de matériaux et produits pétroliers destinés aux habitants entrainant des pénuries importantes. Aussi, considérée comme trop dangereuse, la sortie sud de Port-au-Prince, qui dessert 5 départements, est « fermée » depuis juin 2021. Près de 10 000 personnes ont déjà fui les quartiers où ces gangs se disputent le territoire. Des commerces, industries, manufactures et zone de trafics en sont les enjeux.Face à cette situation, la population préfère, dans la mesure du possible, circuler par la mer, la montagne ou par voies aériennes, ce qui implique des coûts et dangers supplémentaires. Les Port-au-princiens vivent dans la peur, celle d’être kidnappé ou pris dans un échange de tirs, notamment celles et ceux qui prennent les transports publics. La colère de la population est grande, mais résignée. Le sentiment que rien n’est fait pour lutter contre ce phénomène d’insécurité est persistant.

De nombreux facteurs permettent d’expliquer cette situation (inégalité, pauvreté, instabilité socio-économique et politique chronique, corruptions, etc.). Parmi ces derniers, il faut rappeler qu’Haïti est une plaque tournante du trafic de drogue dans la zone caraïbe. Depuis une dizaine d’années, on estime que 15 % du trafic de cocaïne à destination des États-Unis y passe. Nombreuses sont les personnes issues des élites haïtiennes (politique, entrepreneuriale, juridique, etc.) soupçonnées d’être impliquées et les gangs précités ne sont que le bas de la pyramide.

Ce contexte ne permet pas la tenue d’élections crédibles et libres. Le gouvernement en place depuis 8 mois n’a pas résolu ce problème et des questions demeurent quant à la possibilité de le résoudre.

  • Crise économique / crise sociale : entre colère et résignation

Actuellement, le prix des denrées ne cesse d’augmenter. Cette inflation est en partie causée par l’accès difficile des marchandises à l’entrée sud de la capitale, à l’augmentation du coût des produits pétroliers et des transports.

Les propriétaires des camions détournés par les gangs perdent parfois le chargement et le camion et se retrouvent affaiblis voire ruinés, d’autant plus lorsqu’il s’agit de petites entreprises familiales sans assurance. Les personnes kidnappées quittent souvent le pays. De nombreux jeunes sont partis étudier à l’étranger pour échapper à la situation actuelle, d’autres sont découragés, d’autres résistent. Chaque jour la majorité des personnes ayant une activité rémunératrice – ou pas – vaquent à leurs occupations, en se résignant ou en priant pour qu’un malheur ne leur tombe pas dessus.

Malgré cette ambiance délétère, il reste encore des activités culturelles ou des lieux de distraction ouverts. Les richesses du pays permettent de se changer les idées et de profiter de bons moments avec des amis.

Un proverbe créole dit « tout lapryè gen Amen » (toute chose à une fin). Souhaitons-le, mais surtout, souhaitons qu’un élan de volonté commune à faire de ce pays un lieu de vie correct et décent s’empare de ses autorités.

Françoise Ponticq – Port au Prince – mars 2022

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Autres liens d’actualité Haïti :

https://lenouvelliste.com/alaminute/20950/le-premier-ministre-ariel-henry-peut-se-maintenir-au-dela-du-7-fevrier-selon-washington

https://lenouvelliste.com/article/233742/accord-de-montana-deux-candidats-a-la-presidence-et-cinq-candidats-a-la-primature

https://lenouvelliste.com/article/233808/kidnapping-yo-mande-anraje-peste-le-proche-dune-victime

https://www.alterpresse.org/spip.php?article27915

https://www.alterpresse.org/spip.php?article27911

https://www.haitilibre.com/article-27640-haiti-trafic-de-drogue-la-justice-haitienne-extrade-gregory-georges-aux-etats-unis.html

https://lenouvelliste.com/article/224638/les-villages-de-dieu-demmelie-prophete-une-realite-sans-fard

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