Haïti : Situation à l’approche du 7 février 2021

En Haïti, le 7 février est une date à laquelle le président sortant remet le pouvoir à celui élu, après 5 ans de mandat. Ceci depuis le 7 février 1986, date du départ de Jean-Claude Duvalier pour l’exil. La constitution de 1987 l’a inscrit dans ses articles…

 

Après J-C Duvalier, il y a eu de nombreux coups d’État, mais depuis les élections de 1990 ayant porté Aristide au pouvoir, cette date a toujours été respectée comme les 5 ans de mandat présidentiel, même si la durée a pu être empiété par d’autres imprévus.

Ainsi le premier mandat d’Aristide a commencé le 7 février 1991 et s’est achevé le 7 février 1996, bien qu’il a passé plus de deux ans en exil à cause d’un coup d’État. Voilà quel est l’esprit de la constitution.

Le président actuel, Jovenel Moise, devait prendre le pouvoir en 2016 ; il n’a commencé son mandat qu’en 2017 car, suite à des fraudes électorales, il y a eu un gouvernement provisoire en 2016. La Constitution ne tient pas compte des imprévus, le président devrait quitter le pouvoir le 7 février 2021.

Or, il a prévu dans son calendrier de réformer la Constitution, de faire un référendum en avril 2021 pour l’approuver et des élections durant l’année, pour laisser le pouvoir le 7 février 2022.

Cela va sans dire que c’est une décision unilatérale qui ne satisfait personne, ou du moins donnera plus de temps au président et à ses proches pour s’enrichir et mener le pays dans une descente aux enfers qui a déjà commencé depuis plusieurs années.

Les raisons sont multiples et complexes, mon propos n’étant que de donner quelques éléments pour mieux comprendre la situation d’aujourd’hui, je resterai succincte.

Partant du tremblement de terre de 2010, qui a assené un coup mortel au pays, 300 000 morts et des dégâts considérables en termes socio-économique, on peut dire que la gestion de cette catastrophe naturelle, suivie dans la même année d’une épidémie de choléra, introduite par des soldats onusiens, a été une autre catastrophe.

La commission internationale (CIRH) de reconstruction ainsi que les gouvernements du président Martelly, Privert et Moïse ont dilapidé les fonds attribués à cette remise à flot du pays. Le prêt du Venezuela signé même avant 2010 — et aussi avec d’autres pays de la Caraïbe — devait contribuer, avec les autres fonds de reconstruction à remettre le pays sur les rails.

Le premier rapport de ce prêt, nommé Fonds Petro-Caraïbe, en 2018, a mis au grand jour la corruption d’état, le silence complice des « pays amis » et a déclenché une série de troubles sociaux nombreux et violents, mettant aussi en évidence, l’incompétence et l’implication de Jovenel Moise et ses gouvernements successifs dans cette gabegie.

Depuis le 6 juillet 2018, la société civile et l’opposition politique, demandent le départ de Jovenel Moise et le procès Petro-Caribe.

Celui-ci, appuyé par un secteur des affaires qui a financé sa campagne, par des députés et sénateurs de son parti politique, par la police et par des influences ectéroieurs, se refuse à quitter le pouvoir et prône un dialogue qui ne peut se faire, tant la fracture est grande entre la population, l’opposition et le pouvoir.

on prend le peuple pour des cafards …..

 

Prétextant une situation sociale incontrôlable, le pouvoir en place n’a pas réalisé les élections des députés et sénateurs en 2019. Depuis un an environ, le président gouverne par décret et il ne reste qu’un tiers du sénat.

Depuis 2018 il y a eu plusieurs périodes difficiles, comme le « pays lock » en 2019.  Pendant 3 mois, tout était presque fermé. L’année scolaire fut tronquée et les pertes économiques énormes.

Pour contenir les débordements nombreux de différents secteurs (opposition politique, étudiants, syndicats), lui et ses appuis nationaux et internationaux ont mis en place des actions de terreur dans la population, déjà appauvrie, avec une multiplication de gangs armés dans tout le pays, en particulier dans la capitale.

Ces gangs armés sont soit à la solde du pouvoir (députés ou sénateurs voulant être re -élus), soit de certains hommes d’affaires qui tiennent la charpente de l’économie et ont aussi leur pouvoir et privilèges depuis des décennies. Ils sont établis dans tous les quartiers populaires et sèment la terreur en rançonnant, tuant, kidnappant, tout ceci au grand jour. Leurs victimes sont nombreuses parmi la population, personne n’est à l’abri. Sauf les tenants du pouvoir !

Depuis 5 mois la tension monte, les kidnappings sont quotidiens et la capitale se vide dès la nuit tombée. Les « pays amis » ne font que des commentaires tièdes face à ces crimes et abus. Dans cette ambiance tendue, le président annonce qu’il restera jusqu’au 7 février 2022 et rejette l’implication de son gouvernement dans l’insécurité et l’atteinte aux droits humains constatés dans le pays, voire la chute de l’économie. Il enchaîne sur son projet de réforme de la constitution de 1987, alors qu’il n’y a ni parlement ni sénat complet. Autant dire que le régime prend une allure dictatoriale.

Un communiqué des Nations-Unies approuve le calendrier présidentiel ; un autre de la Fédération des Barreaux d’Haïti s’y oppose ; un regroupement de partis d’opposition propose une transition de 2 ans, à partir du 7 février avec le départ de Jovenel Moise et conformément à la constitution de 87, un des juges — le plus ancien — de la Cour de cassation comme président provisoire. Le président du tiers restant du sénat fait une autre proposition tout à son avantage ; les évêques catholiques demandent le départ du président pour respecter la Constitution.

Les voix s’élèvent de toutes parts, une grève générale demandée par les syndicats des transports en commun paralyse le pays depuis le 1er février. L’opposition va manifester les prochains jours.

Le 7 février approche à grands pas, à coups d’armes à feu tirés on ne sait d’où et pourquoi… Mais dans ce tableau inquiétant pour l’avenir du pays et de la population, un point positif : la Covid 19, même s’il est présent, ne tue pas beaucoup de monde et n’empêchera pas le Carnaval — tradition prisée — de se faire ! Le président l’a annoncé, mais sera-t-il là pour danser ?

Françoise Ponticq – Haïti –  Le 2 février 2021

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