Par Françoise PONTICQ – Port au Prince
LA SITUATION GENERALE
Depuis bientôt 14 mois un Comité Présidentiel de Transition a été mis en place, composé de 7 membres issus des secteurs de la vie nationale et deux membres observateurs. Ce Comité a une présidence tournante chaque 5 mois. Son mandat était de restaurer la sécurité dans le pays et faire des élections avant le 7 février 2026, date à laquelle ce mandat prend fin.
Jusqu’à maintenant la crise perdure, une crise qui a de multiples complicités :
- Une classe politique haïtienne assurée de son impunité, qui distribue des armes.
- Une classe économique qui finance les gangs pour protéger ses monopoles.
- Des organismes de droits humains partiaux, qui parfois font allégeance aux bandits.
- Des médias pas indépendants, donnant la notoriété à des chefs de gangs.
- Une justice pénale défaillante, avec une Police Nationale en sous-effectif et sous payée qui devient alors corrompue et se laisse infiltrer par les gangs.
- Des juges corrompus qui libèrent des criminels et des prisons- ou ce qui en reste- qui sont des centres de recrutement des gangs.
- Une communauté internationale hypocrite, qui se voile la face sur le trafic d’armes entre autres, et joue le jeu des personnes au pouvoir tout en comprenant ce qui se passe et ayant malheureusement certains contacts dans le camp des bandits « légaux » comme on les nomme ici. Leurs interventions n’ont rien apporté jusqu’ à présent.
- Une population qui parfois devient opportuniste (pillages, allégeance aux gangs) face à un déclin de la qualité de vie, une stigmatisation selon les quartiers d’où on vient, qui peut aboutir à la mort (Bwa Kale : se faire tuer par des membres de brigades d’auto-défense d’un quartier), un manque d’empathie de la part de l’état, une perte de confiance totale envers tout et un individualisme forcené.
Certaines de ces constatations concernent davantage Port-au-Prince et les régions où sévissent les gangs. Ces derniers occupent l’espace urbain de la zone métropolitaine car au-delà des quartiers envahis, les institutions étatiques ont aussi déserté leurs bâtiments respectifs et ont élu domicile dans les hauteurs de la capitale. Ils monopolisent les corps de police et de l’armée les mieux formés pour assurer leur sécurité.
Une déclaration de l’ONU ferait état de troupes de 5500 hommes qui viendraient en Haïti pour restaurer la sécurité. Modalités non définies !!!!!
LA CLINIQUE DU SOE ET LA VIE QUOTIDIENNE
La clinique du SOE demeure à sa place initiale, près du Champ -de –Mars (zone du Palais présidentiel).
Cette situation géographique nous a fait perdre des patients, car les gens ont souvent peur de cette zone, où des tirs se font entendre lors des affrontements gangs/ police. Cependant depuis le mois de mai, une sorte « d’accalmie » nous a permis de récupérer des patients et nous continuons à offrir un service correct.
Par contre, la situation occasionne plus de dépenses : pas de courant de ville, pas d’eau et les prix des produits dentaires augmentent à cause des difficultés et taxation par les bandits à la douane.
Nous dépensons environ 500 $US/ mois pour le diesel de la génératrice et 150 $US/mois pour acheter des camions d’eau : un énorme trou dans notre budget.
Nous souhaitons toujours rester à vocation sociale et la crise économique qui touche tout le monde, mais davantage les moins fortunés, ne nous rend pas la tâche facile.
L’AOI nous appuie en termes de produits consommables et l’achat de pièces pour les appareils dentaires. Pierre Jahan, qui avait installé l’unit dentaire obtenu en 2017 par ses bons soins, a réalisé deux formations de techniciens. Il reste toujours disponible pour nous conseiller.
Nous cherchons des subventions pour appuyer notre budget.
Mais nous éprouvons une réelle satisfaction à résister ainsi et les patients nous le font savoir ; nous avons aussi de bons rapports avec les personnes habitant dans le voisinage, nous nous entraidons pour de petites choses et gestes de la vie quotidienne. Les bonnes relations humaines sont importantes dans ce climat.
La vie reprend ses droits ; depuis le mois d’octobre et la rentrée des classes, malheureusement pas totale car des écoles restent fermées. Certaines sont devenus des camps de déplacés. Les moyens économiques des gens ne leur permettent pas toujours d’envoyer les enfants à l’école. Les rues de la ville sont encombrées de transports publics et de commerces informels.
Depuis 4 ans, la vie est au ralenti, faite de peurs, de pertes et de déplacements pour certains. Il semble que cet état de fait et de constatation que rien ne s’améliore, donne aux gens un accès de « vouloir vivre » malgré tout. Ils ne peuvent que compter sur eux, pas sur les mensonges et l’opportunisme que les dirigeants du pays leur servent comme plat quotidien.
LES PERSPECTIVES
Il est difficile de prévoir, mais une amélioration de la situation passe par :
- Une réelle rupture avec ce système et des dirigeants intègres.
- Investir dans l’éducation, le travail et des services sociaux de base pour combattre ce phénomène de gangs qui sont le produit de la société.
- Renforcer et assainir la Police, le système judiciaire.
Si les générations des 40 ans et plus ont échoué, il reste de nombreux jeunes et des initiatives locales, de quartiers, de régions auxquelles il faudrait donner visibilité et moyens.
Mais la priorité reste la sécurité ; c’est aussi la première marche qui pourra reconstruire l’édifice.
Elle serait envisageable, s’il y avait une réelle volonté de la part des « élites nationales et internationales », de sortir le pays de ces ornières profondes. C’est encore possible, un pays ne meurt pas et le monde d’aujourd’hui est aussi parsemé de nombreux conflits humains.
De petites initiatives modestes et positives dans tous les domaines éclairent ce monde autant que les pires l’assombrissent. Laissons un peu d’espoir nous trahir dans nos constats déprimants !
9 octobre – Ça tire de partout ce matin car un conseil des ministres devait avoir lieu au Palais National.
Les bandits ne sont pas d’ accord et tirent!!!
La marchande vend du manioc bouilli…bien tranquillement
Françoise PONTICQ – Port au Prince – Octobre 2025